Il avance... D'un pas lourd, le dos vouté, une pauvre grimace sur le visage...
Il se dirige pour la dernière fois vers cette Cathédrale, toujours déserte, dire sa dernière Messe de Cambrai. Tout est en ordre, si ce n'est la poussière sur les bancs, les rétables, le sol... Il le sait, il sera peut-être encore seul cette fois, seul en face de Lui-même, cegrand bateau de la nef resonnera de ses paroles... Ne pas laisser penser à de l'amertume, quitter ces lieux avec amour, comme s'il laissait derrière Lui une foule de Paroissiens vivant dans la plus Aristotélicienne amitié.
D'un regard, il vérifie la présence des éléments Aristotéliciens, se rend vers le clocher, appelle les fidèles, puis sort un moment sur le Parvis.
Revient, prend son Livre des Vertus qu'il laisse fermé pour l'instant...
Je demande Pardon au Très Haut Tout Puissant pour les pêchés que j'ai commis ainsi que pour ceux des habitants de Cambrai...
La grande porte grince, et chaque grincement lui laisse espérer une arrivée...
Mes chers Enfants, je vais vous lire un passage de l'Eclipse, volume II "Le brouillard"...
Je marchai donc sur un pont rayé de six couleurs, en destination de la lune, sous un ciel d’encre vide de toute étoile. Le trajet me sembla durer une éternité. Mais, alors que je commençais à désespérer de la distance qui me restait à parcourir, je perdis l’équilibre. En effet, les bandes de couleurs qui constituaient le pont que je traversais se mêlèrent en une seule et unique lumière blanche. Celle-ci, telle de l’eau, s'abattait sur la surface de la lune en une cascade laiteuse. Je m’effondrai pathétiquement au sol et, fortement agacé, me relevai, essuyant la poussière de mes vêtements.
Tout autour de moi, je voyais un brouillard blanchâtre peu engageant. Il faisait chaud et moite au sein de cet air dense et irrespirable. J’essayais d’avancer mais mes mouvements étaient lents et maladroits, tant le brouillard semblait s’agripper à mon corps. Mes pieds s’enfonçaient dans le sol mou et visqueux. J’en venais à souhaiter que le vent se lève afin de disperser cette gangue crémeuse qui m’entourait. Mais ce lieu me donnait l’impression de ne pas avoir connu la moindre brise depuis la nuit des temps. C’était la même atmosphère moite qui régnait depuis. Je me croyais dans un tombeau.
C’est alors que je sentis une longue langue me lécher le torse. Paralysé par la terreur, je m’immobilisai. Regardant autour de moi, je discernai enfin des formes. Elles étaient innombrables et ressemblaient fort peu à des êtres humains. L’une d’elles, de taille gigantesque se dressa face à moi, et je pus en détailler la laideur. Entièrement nu, ce démon avait une peau lisse, gorgée de sueur, et des jambes arquées, entre lesquelles les attributs de la masculinité s’affichaient sans pudeur. Je vis également que sa poitrine portait les attributs de la féminité. J’espérais découvrir un visage humain, mais, à la place, se trouvait une gueule semblable à celle d’un serpent, de laquelle sortait une longue langue dressée vers moi.
Le monstre me dit: “ Je suis Asmodée, Prince de la Luxure. Raphaëlle, Archange de la Conviction, est mon opposée. Celui qui se complaît dans l’abus des choses de la chair et dans le nihilisme le plus total vient rejoindre les rangs de mes damnés.” Je ne savais pas quelle réponse donner à une si horrible créature, mais elle n’en attendait pas et s’écarta de mon chemin. C’est alors que je vis un long couloir creusé dans le dense brouillard. Je ne me fis pas prier pour l’emprunter et ainsi échapper à ces bêtes luxurieuses. Le sol était de moins en moins pâteux et devenait de plus en plus sableux. La couleur blanchâtre laissait peu à peu la place à une sombre lueur turquoise.
Au bout d’un temps indéfinissable, j’accédai à une gigantesque grotte. Des piliers titanesques soutenaient sa voûte, que j’avais du mal à discerner, étant donnée sa hauteur. Un lac aux dimensions homériques emplissait les lieux. Son liquide, qu’aucune onde ne venait troubler, irradiait d’une sombre lueur turquoise, colorant ainsi toutes les roches environnantes. Aucune vie ne semblait pouvoir se maintenir en ces lieux. Quelle ne fut pas ma surprise quand je vis, parmi les roches qui s’entassaient le long de la berge des formes obscures se lever. Leurs mouvements étaient lents, maladroits, et peu affirmés.
Elles semblaient devoir faire un effort surhumain pour entrer en mouvement. Je les voyais toutes pleurer leur état déliquescent et amorphe. C’est alors qu’une gerbe de liquide turquoise surgit de lac surface du lac. Une énorme créature à la peau écailleuse et à la longue queue de lézard surgit du liquide. Surmontant une mâchoire titanesque, deux petits yeux d’émeraude me fixaient. Elle me dit: “ Je suis Belial, Prince de l’Orgueil. Miguaël, Archange du Don de soi, est mon opposé. Celui qui a le sentiment de pouvoir vivre hors de la communauté, ou d’être capable d’atteindre le statut de divin, vient rejoindre les rangs de mes damnés.”
Vous l'avez entendu, mes Frères, mes Soeurs, mes Amis... Tous les jours nous reservent des embûches, des visions d'épouvante, tous les jours la "Sans nom" cherche à nous détruire dans nos plus grandes convictions. Chaque fois que vous vous trouverez dans une situation qui vous interpelera, recueillez vous dans la pensée du Très Haut et chassez au plus tôt les visions intolérables qu'elle vous fera subir... C'est à ce prix que vous connaitrez la vie éternelle sur le Paradis Solaire...
Le vieil Archevêque s'interrompt un instant, lève les bras au ciel, minuscule sous l'immense voute du Choeur...
Mes Amis, je vous dis au revoir, pensant vous retrouver un jour dans le Paradis Solaire... Le Très Haut ne tardera plus maintenant à me rappeler, aussi ai-je décidé de retrouver la terre dans laquelle je dois être enseveli, la terre de mes montagnes savoyardes... A trop attendre je risque de ne plus pouvoir faire ce voyage ! J'ai été heureux d'être parmi vous et grande est ma peine de m'en retourner... Récitons une dernière fois ensemble notre Credo fédérateur, mais avant, un message que j'adresse aux Prophêtes :
Aristote, Christos, faites que ce lieu devienne un lieu de culte dont il faudra pousser les murs pour les accueillir tous !
Je crois le Trés-Haut tout puissant,
Créateur du Ciel et de la Terre,
Des Enfers et du Paradis,
Juge de notre âme à l'heure de la mort.
Et en Aristote, son prophète,
le fils de Nicomaque et de Phaetis,
envoyé pour enseigner la sagesse
et les lois divines de l'Univers aux hommes égarés.
Je crois aussi en Christos,
Né de Maria et de Giosep.
Il a voué sa vie à nous montrer le chemin du Paradis.
C'est ainsi qu'après avoir souffert sous Ponce,
Il est mort dans le martyre pour nous sauver.
Il a rejoint le Soleil où l'attendait Aristote à la droite du Trés-Haut.
Je crois en l'Action Divine;
En la Sainte Eglise Aristotelicienne Romaine, Une et Indivisible;
En la communion des Saints;
En la rémission des péchés
En la Vie Eternelle.
AMEN
La fin... Une larme qui coule sur son visage... Lentement il se dirige vers la sacristie, prendre le pain, le vin, la tradition...