Maison de Lamina

La rouquine rentra chez elle en courant, trempée par la pluie d'automne. Elle ouvrit la petite porte en chêne et la referma doucement derrière elle, avant d'ôter ses vêtements humides en frissonnant. Cette petite danse sous la pluie avait été intense.
Elle traversa rapidement le salon/salle à manger où se trouvaient toutes sortes de végétaux. Le sol était de l'herbe verte et dense, un pan de mur était entièrement recouvert de lierre, diverses plantes poussaient ou grimpaient partout, quelques arbustes étaient parfois plantés à même le sol. Les fleurs colorées qui embaumaient la maison de leur lourd et suave parfum durant l'été étaient désormais endormies pour l'hiver.
De toute cette jungle à l'apparence désorganisée ressortait un certaine harmonie, et l'écho d'une "entente", d'un accord tacite entre les êtres vivants, la rousse comprise, et les lieux.
Lamina passa l'arche qui séparait la salle d'eau aménagée par ses soins et sa chambre, pleine de plantes également.
La salle de bains était moins verte que la pièce précédente. Un baquet de bonne taille, de forme ronde et en bois, et enfoncé dans le sol, à la manière d'un jacuzzi.
Elle y versa de l'eau chauffée par ses soins et s'y glissa doucement, bien contente de la chaleur prodiguée et les vapeurs bienfaitrices. Le contraste avec la fraîcheur de son corps encore mouillé de pluie était plaisant.
Après son bain, elle sortit dans le petit jardin, bien chétif à côté de la forêt, et s'assit sur son petit banc de bois afin de savourer l'air du soir. La pluie s'était arrêtée, et le ciel quelque peu dégagé semblait moins...lourd.

La nuit approchait vite, et je marchais dans les quartiers, cherchant le numéro que Lamina m'avait indiquée. Je ne voulais passer la nuit dehors. Cambrai était venteuse. Trop pour moi. Quel temps me convenait le mieux? Chaud et sec? Humide? pluvieux? Je ne me souvenais pas de la caresse du soleil.. ni de la mer.. presque tout encore n'était que des mots pour moi.. et j'avais peine a imager mes pensées.. Lamina me disait que cela reviendrait.. avec le temps.. je l'espérais vivement. Ma mémoire reviendrait-elle partiellement? Ou complètement? Reverrais-je un jour mes parents? Étaient-ils encore en vie? Tant de doutes.. tant de questions.. et si peu de réponses..

Ailleurs, je ne vis pas le petit trou dans le chemin.. ce qui me valu de tomber le nez dans la terre. Sale et douloureuse.. je me relevais et tombais a nouveau nez a nez avec une large maison, au toit de chaume, et fenêtres verdoyante. J'étais arrivée. J'étais enfin chez Lamina.

Devant le seuil, une peur me saisit.. étais-je réellement la bienvenue? Je ne voulais la gêner.. Je toquais tout de même.

Lamina tourna la tête vivement lorsqu'elle entendit un frappement timide à sa porte. Elle quitta le jardin et traversa la pièce centrale, manquant pour la première fois de trébucher sur les racines. Que lui arrivait-il ? Elle n'était pourtant jamais pressée d'ouvrir aux visiteurs...
Elle posa la main sur la poignée, espérant vivement revoir, sans savoir pourquoi, sa brillante chevelure noire et ses yeux empreints de douceur. La rouquine inspira un bon coup et ouvrit la porte.
Un grand sourire se peignit sur son visage et elle se dégagea de l'entrée afin de laisser Helena investir la place.

-Je..je t'attendais. Elle lui sourit, radieuse et réservée à la fois. Sois la bienvenue, et surtout fais comme chez toi.

Lamina s'attarda un instant sur le corps maculé de terre de la jeune femme.

-Tu veux peut-être te laver..? L'eau de mon bain est encore chaude.

La porte s'ouvrit a la volée, et aussitôt je retrouvais, malgré le froid qui me glaçait les os, le sourire réconfortant et réchauffant de la belle Lamina. La voir ainsi, sèche et propre me fit monter le rouge aux joues, et j'éprouvais de la jalousie, a être si crasseuse. Sa proposition me fit le plus grande effet, et c'est confuse que j'acceptais.

Je te remercie Lamina, je serais vraiment comblée de pouvoir me laver. Seulement, ce sont les seules affaires que j'ai.. je n'avais pas prévu de tomber... Je suis si maladroite parfois..

Je m'enfonçais chez elle, passant le seuil de la porte, retirant mes chausses salies... mes pieds en bas libérés, respirant...

Je suis enchantée de découvrir ta maison Lamina.. mais sur le chemin.. je réfléchissais a tout cela... et je me disais..
Tout ne passera pas inaperçu.. les autres se rendront compte.. tôt ou tard.. comment réagirons-nous?

Devons-nous nous cacher?

Nous arrivions a la salle d'eau, et la baignoire et son eau encore chaude trônaient dans la pièce..

Tu viens de le prendre? Ton bain je veux dire..

Resterait-elle? Le prendrons-nous ensemble? Mon corps était bouillant.. et mes joues cramoisies.

-Ne t'en fais pas pour tes vêtements, on pourra toujours aller au lavoir. Ou bien je t'en prêterai. Puis tu sais la maladresse, je trouve ça attanchant. Elle lui sourit avec douceur, puis resta pensive quant à sa réplique suivante.

-Hum...il est vrai que ce ne sera pas évident. Pas du tout. Mais qu'importe..! Tant que nous sommes ensemble pour nous soutenir.

Elle posa délicatement sa main pâle sur la douce joue d'Helena et la caressa avec une infinie douceur. Elle était chaude, et cela la fit sourire.

-Mais se cacher...je ne sais pas.

Elle entrèrent dans la salle de bain, où les vapeurs chaudes ne s'était point dissipées.

-Oui, je viens de prendre mon bain. Elle hésita une seconde. Mais l'eau est mon élément préféré et à vrai dire...en prendre un deuxième ne me gènerait aucunement.

J'avais chaud. Mes joues brulaient et mon corps n'allait pas tarder a exploser.. Les vapeurs de l'eau me rendaient fébrile.. et je ne savais quand je craquerais.. me jetterais-je sur Lamina? Je craignais que oui.. au risque de la choquer.. sa vertu me faisait vibrer..

Donc.. nous allons..
Prendre..
Le bain.. toutes les deux?

Plus rouge que jamais, je m'éventais. Lamina devait avoir remarquer mon état...J'étais plus chaude qu'une pucelle.. mais plus sale qu'une trainée. Sans attendre, je retirais mes haillons et me glissait dans l'eau sans permission. Nous causerions plus simplement dans l'eau.

Tu.. tu viens?

Mon cœur battait a tout rompre.

Lamina déglutit avec peine lorsque Helena se dévêtit. Elle sentit son visage s'embraser et la salle de bain lui parut très petite, soudainement.
Elle détourna ses yeux d'émeraude sur l'eau, afin de ne pas trop appuyer son regard sur le corps parfait d'Helena. Jamais de sa vie elle n'avait été aussi fébrile.

-Eh bien...il me semble que oui.

Elle laissa choir sa fine robe blanche au sol, puis immergea son pied de nacre dans l'eau encore chaude, avant d'y entrer en entier. Elle avait l'impression de flotter et craignait que sa respiration, accrue par l'instant, ne se fasse entendre de la belle.

Evitant de la regarder de trop.. ses seins bondissants me mirent dans un état second.. L'eau chaude n'était pas fautive de mon émoi, c'était la vue que m'offrais ma douce amie qui me rendait aussi chancelante. Plongeant la tête sous l'eau, je cherchais a remettre mes idées en place. Pas moyen. La regardant maintenant, immergée autant que moi, je cherchais sous l'eau le contact de ses mains.

Ta maison est formidable.. je m'y sens déjà comme chez moi.. j'ai l'impression d'être ici depuis des années.. de te connaitre.. peut-être vivais-je dans un endroit semblable avant cela... Je me demande si un jour je retrouverais ma mémoire.. Que m'arriverais-t-il? Devrais-je alors renoncer a ce que j'ai maintenant? A toi..

Je ne le pourrais... Comment le pourrais-je.. t'oublier?

J'en crèverais..

Je ne me retenais plus, au fond de moi, je mourrais d'envie de lui declarer ma flamme.. le regard des autres me laissait indifférente. Si trop étaient indisposés, Lamina et moi partirions.. La Provence était assez libre sur le sujet.. Qui sait..

Je t'aime Lamina.. j'aimerais m'installer ici avec toi..
Comprends-tu ce que je veux dire? Me cacher.. nous cacher.. je n'ai pas honte de nous..
Au contraire, je suis fière de ce que nous représentons.

Dans l'eau, je cherchais a me coller contre elle.. par peur de la perdre.. par besoin..

Elle joignit ses mains à celles d'Helena, écoutant sa voix, dont elle ne se lasserait jamais.

-Tu es ici chez toi, ma belle...Nous sommes chez nous. Et retrouver ta mémoire, ta vie d'avant, ne nous empêchera pas de rester unies. Je te le promets.

La rouquine frémit quand la nymphe parla de mourir.
-Chhhhut. Ne dis pas pareille chose. S'il te plaît.

La jeune femme revenait doucement à la réalité, prenant consience qu'elle faisait partie de ce rêve. Ce rêve qui dépendait de la personne en face d'elle, de cette femme qui venait de lui dire je t'aime.

-Je t'aime aussi Helena, et nous cacher serait en effet insupportable.

Elle l'enlaça doucement et baisa ses cheveux, les yeux clos et se persuadant qu'elle ne rêvait pas.

Lamina entra dans la maisonnette déserte. Elle laissa Ceridwen s'envoler de son épaule et la regarda à peine lorsqu'elle se percha sur la branche enchâssé dans le mur, et prévue à cet effet.

Elle alla en titubant légèrement jusqu'à sa chambre et s'assit quelques secondes sur le lit. Elle finit par s'allonger complètement, et ferma les yeux sur sa longue journée.

La jeune femme émergea doucement des profondeurs abyssales du sommeil en ayant un drôle de goût dans la bouche. Elle porta sa main de nacre à la comissure de ses lèvres et arrêta une goutte chaude qui s'apprêtait à couler le long de son cou. Elle regarda la perle pourpre poursuivre sa route le long de son poignet.
La tête lui tournait et elle se sentait fiévreuse.

Se levant à grand-peine, elle marcha jusqu'à son baluchon et prépara ses affaires pour la route. C'est alors qu'elle remarqua la chouette effraie perchée sur la tête de lit. Elle esquissa un sourire et la rejoignit dans un élan de tendresse.

-Ma Ceridwen...tu es toujours là, toi.
Elle passa tendrement sa main tremblante sur les plumes du volatile et se leva. Elle prit son paquetage et quitta sa "jungle" , suivie de près par le rapace...

La Bretagne n'était pas loin.

» [6 rue de la Saincte Boulasse] Maison de Tulle & Dark'